Le 15 juin 2020, à l’invitation des étudiant·es d’Art en Grève Valence, Le Snéad-CGT est intervenu dans un meeting inter-pro des métiers de l’art et de la culture organisé par Bas les masques Art & Culture (http://www.blm-artsetculture.fr). S’en est suivi une réflexion avec ces mêmes étudiant·es pour penser ensemble tous les avantages qu’aurait un salaire étudiant·e pour l’ensemble de la communauté. Nous publions aujourd’hui le fruit de ce travail car nous pensons qu’il prend tout son sens dans le contexte actuel de crise sociale sans précédent que vivent les étudiant·es. Nous ne pouvons parler à leur place, mais nous voyons l’intérêt majeur de ne plus cloisonner les problèmes pour trouver des solutions viables. Nous espérons ainsi que cet argumentaire nourrira le débat, et ira plus loin encore qu’un RSA ou un revenu de subsistance car nous y avons toutes et tous beaucoup à gagner.
Un salaire contre la privatisation de l’enseignement supérieur
Plutôt que de proposer des jobs étudiant·es quasi-exonérés de charges sociales, à commencer par les jobs proposés dans les établissements supérieurs eux-mêmes, types gardiennage, monitorat, vacations… (qui cotisent peu aux caisses de retraite), plutôt que d’attribuer des aides ponctuelles sous critères à trop peu d’étudiant·es, plutôt que de multiplier les dispositifs lourds et onéreux (bourses d’études, allocations de thèse, APL, CMU, bourses de mobilité…), salarier les étudiant·es participe à l’activité économique de la société et au bon fonctionnement du service public. Un salaire étudiant permet de contribuer au régime général de la sécurité sociale, au régime des retraites, au soin des personnes plus âgées. C’est une solution qui permet la juste rémunération de facto d’un stage, d’un service civique ou d’un contrat en alternance, formes d’emplois qui, souvent, instrumentalisent la précarité des jeunes.
Un salaire inconditionnel pour lutter contre les inégalités sociales
Les critères de bourses sont actuellement imparfaits et le suivi social individualisé est en voie de disparition faute de moyens sérieux alloués aux établissements d’enseignement supérieur. Les étudiant·es font par conséquent des jobs alimentaires et intègrent très (trop) rapidement et durablement la précarité de l’emploi comme la normalité, ce qui est inacceptable. Un salaire étudiant·e inconditionnel lutte contre les inégalités dues au handicap puisque les études coûtent toujours plus cher à des étudiant‧es malades ou en situation de handicap du fait des équipements et aménagements nécessaires.
C’est un salaire qui veille à assurer la diversité des origines géographiques et de genre, à favoriser la mixité sociale, à lutter contre la gentrification des établissements d’enseignement supérieur et qui œuvre à la démocratisation des savoirs. C’est un salaire qui permet l’accès systématique de tou·te·s aux dispositifs proposés par les parcours de formation (voyages d’études, stages à l’étranger, semestres Erasmus… qui excluent actuellement les plus défavorisé·es). C’est un salaire qui permet l’accès au logement, à la restauration et aux transports (les étudiant·es participent à l’économie locale en louant, en se restaurant, en se déplaçant) ce qui est loin d’être négligeable lorsque l’on connaît les problèmes de malnutrition des étudiants par exemple
Un salaire intersectionnel
La population étudiante est à dominante féminine dans l’enseignement supérieur, notamment dans les écoles d’art (60% en moyenne), et pourtant à la sortie des études les jeunes femmes sont professionnellement très peu représentées. Que se passe-t-il ? Les études des femmes doivent être valorisées si elles sont plus longues, leur travail à venir étant sous-rémunéré et sous-estimé, comme le travail domestique gratuit ou les métiers dit du « care » (le service à la personne) sous-payés. Elles cotisent trop peu et sont vouées dès le départ à se retrouver dans des situations de précarité croissante avec l’âge. Avoir des études cotisantes les aideraient.
Pour les étudiant·es LGBTQI+ c’est un moyen d’assurer une formation sans chantage ou moyens de pression économique de la famille. Trop souvent coupé·es de leurs parents qui les excluent de leur foyer et donc du système d’entre-aide familial, ielles ne peuvent pas faire d’études ce qui ne permet pas leur juste représentation dans l’espace public, médiatique et professionnel.
C’est un salaire également anti-raciste et décolonial puisqu’il favorise la diversité et permet à quiconque, quelque soit son origine, sa nationalité ou sa couleur de peau d’accéder exactement aux mêmes parcours dans l’enseignement supérieur, d’assurer à la sortie des études une représentation dans toutes les sphères publiques et professionnelles. C’est un salaire qui renforce l’exemplarité française de l’enseignement supérieur pour toutes et tous.
Un salaire qui permet l’implication totale dans la formation et une augmentation mécanique du niveau d’études
Un·e étudiant·e qui ne cumule pas d’emploi alimentaire (autrement dit un emploi qui le/la détourne de sa formation) est un·e étudiant·e dont on peut attendre un meilleur engagement, y compris durant les périodes dites de vacances qui sont généralement des périodes de continuité des études ou d’approfondissement de la formation (stages, rédaction de mémoires, travail personnel et de recherche, etc.). Un salaire étudiant assure la chute du taux de redoublements automatiques dus à des situations économiques et sociales fragiles (aggravées par les emprunts bancaires qui participent de plus en plus à la privatisation des études supérieures et à la fragilisation du démarrage de l’activité professionnelle du fait des remboursements). Un salaire étudiant assure un meilleur « roulement » dans les écoles (accueillir plus de jeunes puisque plus de places seraient libérées chaque année). Les étudiant·es cumulent les emplois précaires pour payer leurs loyers, faire leurs études ou rembourser leur endettement, c’est le serpent qui se mord la queue. Tout ceci fragilise leur progression dans le cursus ainsi que le niveau général de l’enseignement supérieur français.
Un·e étudiant·e est un·e travailleur·euse en formation
Étudier c’est travailler, car l’enseignement supérieur contribue à formaliser le projet professionnel des étudiant·es et, au-delà, contribue à ce qu’ielles intègrent les conditions du monde du travail.
Les étudiant·es orientent les formations et les projets de recherche des établissements, donc si ielles ne sont pas financièrement précaires, ielles sont intellectuellement plus solides et participent d’autant mieux à l’activité de l’établissement. Ielles peuvent davantage investir l’ensemble des programmes liés à l’international, les partenariats, la recherche… Se consacrer pleinement à ses études est une réponse à la professionnalisation. Alors qu’il s’agit de la grande question des établissements d’enseignement supérieur, la réponse est à portée de main. Un·e étudiant·e pleinement formé·e et non endetté·e s’insère mieux et plus vite. Un·e étudiant·e salarié·e est engagé·e encore plus dans ses études. Il ne s’agit pas d’assister mais d’autonomiser les étudiant·es. Le pouvoir d’achat des familles s’en trouve renforcé par incidence et l’on évite parfois des situations économiques difficiles. Ielles payent des impôts, autofinancent leurs études et cotisent solidairement pour la retraite.
Un salaire comme solution pour valider l’allongement des études tout en le rationalisant
Les 5 années moyennes de formation (Licence + Master) sont de plus en plus souvent étendues à 6, 8 voire 9 ans et plus si l’on compte les classes préparatoires (qu’elles soient publiques ne résout pas tout), les doctorats/post-diplômes/post-docs… Il y a un gros manque à gagner pour tout le monde si ces jeunes ne cotisent pas au régime général, pour l’activité des autres, le service public et pour leur propre avenir. Moins de redoublement c’est pouvoir aller plus vite, et plus loin, en étant mieux formé·e et donc mieux préparé·e à démarrer son activité.
Un salaire qui répond immédiatement à la crise sociale aggravée par la crise sanitaire
La Covid n’a fait que renforcer la précarité et la mise en danger physique et psychologique des étudiant·es de l’enseignement supérieur public dans son ensemble. Tous les avantages d’un véritable salaire étudiant·e (et non pas d’un revenu minimum ou d’un revenu universel qui assure la survie) apportent une réponse concrète et à la hauteur de la crise sanitaire, politique, sociale et intellectuelle.
Pour conclure, nous tenons à rappeler un article de la charte de Grenoble écrite lors du congrès de l’UNEF en 1946 : « En tant que travailleur[·euse], l’étudiant[‧e] a droit au travail et au repos dans les meilleures conditions et dans l’indépendance matérielle, tant personnelle que sociale, garanties par le libre exercice des droits syndicaux. »
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