Syndicats et corporations, quelle différence ?

Les corporations sont le mode ancien, issu du Moyen Âge, d’organisation des métiers. Le Larousse nous dit qu’elles étaient, « sous l’Ancien Régime, [un] organisme social qui groupait tous les membres d’une profession, de la base au sommet ». Elles furent interdites par la loi Le Chapelier sous la Révolution comme toute autre forme d’organisation qui interférerait entre l’intérêt de l’individu et l’intérêt collectif, c’est-à-dire de l’État. « Il n’y a plus de corporations dans l’État ; il n’y a plus que l’intérêt de chaque individu et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer aux autres citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation » 

Depuis la Révolution se développait néanmoins l’idée de Bourses du travail, où auraient été concentrées les offres et les demandes de travail et où, même, les travailleurs auraient pu trouver une aide. Des associations ouvrières clandestines, le développement des idées et mouvements anarchistes ou socialistes, dans toutes leurs variantes, amenaient à la création d’organisations syndicales, en dépit de toutes les formes de répression dont il fut usé à leur égard. Le 25 mai 1864, la suppression du délit de coalition et de grève (Loi Olivier) met un terme à la Loi Le Chapelier. Suit la création de l’Association internationale des travailleurs, dite 1re Internationale, à Londres. Le 14 novembre 1869, est fondée la Fédération Parisienne des Sociétés Ouvrières autour d’une Société de Solidarité des Ouvriers Relieurs de Paris préexistante. C’est le noyau parisien de la future CGT nationale.

Il faudra néanmoins attendre la loi Waldeck-Rousseau de 1884, qui autorise la mise en place de syndicats et fixe leurs domaines de compétence, pour que les organisations professionnelles trouvent une légitimité. Cette loi vise tous les groupements professionnels qu’ils soient syndicats de salariés ou syndicats patronaux et est intégrée au Code du travail.

La création de la Fédération des Bourses du Travail en 1892 est suivie de près par celle de la Confédération Générale du Travail, à Limoges, en 1895. La Fédération des Bourses du Travail s’y « fond » en disparaissant tandis que ses organisations intègrent la CGT. En 1906, le congrès de la CGT adopte la Charte d’Amiens qui fixe les critères du syndicalisme CGT.

On ne peut donc pas vraiment dire que les corporations furent les ancêtres des syndicats. D’autant qu’en cette même fin de XIXe siècle s’épanouissait un catholicisme social fondé sur le retour aux corporations de l’Ancien Régime, sous l’impulsion de théoriciens catholiques monarchistes tels qu’Albert de Mun ou son ami René de La Tour du Pin, tous les deux aussi opposés au socialisme qu’au libéralisme. Son temps venu, Charles Maurras reconnaîtra sa dette envers La Tour du Pin par ces mots : « lorsqu’il s’est agi de compléter la doctrine politique de l’Action française par une doctrine sociale, j’ai adopté en bloc celle de La Tour du Pin  » (L’Étudiant français, 25 avril 1934).

Le corporatisme devient dès lors une doctrine « fondée sur le principe d’une organisation de la profession telle que toutes les catégories sociales lui appartenant participent à sa réglementation et à sa protection. La profession ainsi organisée devient une institution nantie de pouvoirs de décision, de représentation, de discipline, dans les domaines social, économique et éventuellement politique » (Encyclopédia Universalis). C’est-à-dire que dans un même secteur d’activité, par exemple l’artisanat de la joaillerie ou les filatures, tous appartiendraient à la même organisation, de l’ouvrier à l’employeur.

À l’imitation de l’Italie où la charte du travail fixa précisément l’organisation corporatiste de l’État fasciste, ou du modèle des « syndicats verticaux » franquistes, le régime de Vichy reprit l’idée de corporation dans la charte du Travail du 4 octobre 1941, qui organisait des groupes de métiers en corporations contrôlées par l’État, achevait de dissoudre les syndicats et interdisait la grève. L’État nommait directement les dirigeants des corporations. Ce contrôle lui permettait de fixer les prix et les salaires et de plus facilement tenir en mains les travailleurs. Enfin, le système corporatiste offrait un cadre patriarcal, très familial, de l’organisation des entreprises et du travail, qui répondait aux attentes d’un régime soucieux du retour aux valeurs traditionnelles. Il nous reste de ces corporations les Ordres des médecins, avocats, pharmaciens, notaires, huissiers, architectes, etc., pour beaucoup créés ou officialisés dans les années 1940. Le Gouvernement provisoire puis la République entérineront ces institutions, oubliant l’abrogation des lois de Vichy à la Libération. Depuis, de nouveaux ordres se sont créés comme l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes ou celui des pédicures-podologues en 2004.

On comprend que le premier objet des corporations est d’éradiquer tout conflit entre les strates sociales, de défendre les intérêts et de réguler l’ensemble d’une profession en niant les oppositions de classe.

Le terme corporatisme s’est également chargé d’une valeur négative, « anti-républicaine », au sens où il dénoncerait la défense des intérêts d’un groupe à l’encontre de l’intérêt général. On accuse facilement des syndicats de corporatisme en croyant qu’ils ne se battent que pour les avantages d’une minorité tout en infligeant des grèves à l’ensemble de la population. L’histoire montre qu’il s’est chaque fois agi du contraire : de défendre un service public, par exemple, et non d’intérêts particuliers. Les tristes démantèlements de la Poste, de France Télécom ou de la SNCF en sont des exemples.

Il existait autrefois, sous le nom d’Association Nationale des Directeurs d’Écoles d’Art, un espace de rencontres et d’échanges des directeurs dont la fonction première était de peser sur le Ministère de la Culture. Un lobby en quelque sorte. Cette association s’est développée en devenant l’Association Nationale Des Écoles d’Art, regroupement d’une grande majorité des établissements d’enseignement supérieur d’arts plastiques et de design. Des collèges y ont été définis, distinguant les directeurs (membres de droit), les enseignants (membres associés, élus), les personnels administratifs et technique (membres associés désignés par les directeurs) et enfin les étudiants (membres associés élus). Les écoles cotisent lourdement, l’État subventionne, on n’y manque ni de moyens, ni de temps, ni de personnel et, surtout, on s’y occupe aussi bien des questions de financement des écoles que de statut des personnels, d’entretenir un dialogue permanent avec le Ministère et avec les parlementaires, de suivre la législation voire de l’orienter dans le sens voulu.

Pour illustrer la distinction que nous tentions d’établir entre syndicats et corporations, nous venons à l’instant de décrire l’Andéa, une corporation attachée par définition à la défense des établissements, à la différence d’un syndicat tel que le Snéad, attaché à la cause des agents et à la défense du service public.